samedi 31 décembre 2022

Une histoire de stratégie militaire

 - Seigneur ? 

- Alors, Lucius ? Où en est l'assaut ? Poudlard est-elle tombé ? 

- Euh... c'est-à-dire, Maître...

- Combien d'amis de Potter avons-nous déjà tué ? 

- Aucun, Seigneur, en fait... En fait, nous nous sommes un petit peu fait massacrer. 

- Quoi ? Comment ça ? 

- Ben, massacré comme massacré. Je crois que la plupart des Mangemorts sont... morts, Seigneur. 

- Mais... mais... comment est-ce possible ? 

- Et bien, il semble... je dis bien "il semble" hein, il faut être prudent, mais il semble que donner l'assaut à une forteresse construite précisément pour faire face à une attaque frontale n'était pas une super bonne idée à la base. 

- Pardon ? 

- C'est un château, Maître. Visiblement fort ancien, et qui n'a pas du tout l'architecture qu'on attendrait pour une école. C'est de toutes évidences une ancienne place forte, avec des douves et des meurtrières et des fortifications et tout. 

- Mais qu'importe, nous sommes les Mangemorts et face à nous, il n'y a qu'une bande de gamins et de professeurs de lycée ! 

- Et aussi une armée de soldats de pierre, Seigneur. 

- Et alors ? Nous sommes des sorciers et la magie est puissance ! 

- Certes, Maître, mais vous savez ce qui fait la puissance aussi ? Voyons, de la stratégie, un certain sens tactique et aussi de la discipline. Des choses que des soldats, même de pierre, possèdent en général. Face à ça, nos troupes n'ont fait que courir tout droit sur le château en criant "AAAAAAAAAAAAAH". 

- AAAAAAAAAAAH ? 

- Exactement. Et du coup, pendant que les sorciers les dégommaient à distance bien à l'abri derrière les murs du château, les soldats de pierre ont fait une très belle manœuvre d'enveloppement en attaquant tous les sorciers qui couraient en criant "AAAAAAAAAAH" sur les deux flans. Et du coup, ces derniers se sont faits, comme je vous le disais, complètement massacrer. Un carnage. On se serait cru à la bataille de Cannes. 

- Et mes géants alors ? Mes trolls ? 

- Ben ils auraient pu faire de formidable armes de siège si vous ne leur aviez pas demandé à eux aussi de courir vers le château en criant AAAAAAAAAAH. Ils ont été les premiers à se faire dégommer à distance. Des cibles faciles, je crois. 

- Et aucun de mes sorciers n'a pu rien en réchapper ? 

- Oh, quelques uns ont pu rentrer dans le château, mais ils étaient formés aux duels en un contre un. Et en fait, il n'y avait aucun raison pour nos adversaires de les affronter en duel. Ils ont utilisé leur maîtrise du terrain et les avantages tactiques offerts par les nombreuses pièces du château, ainsi que l'heure de préparation que vous leur avez généreusement donné, pour mettre en place une série de pièges et d'embuscades. 

-  Mais... mais...

- Je veux dire, étudier la magie et tout ça, c'est bien, je dis pas, mais on aurait passé un peu plus de temps à lire Sun Tzu et Clausewitz, ça aurait pas été plus mal, non ?

vendredi 30 décembre 2022

Une histoire de jeu vidéo

 Disclaimer : Ce qui suit parodie très vaguement Le Problème à Trois Corps de Liu Cixin (mais alors vraiment très vaguement, hein). Du coup, il est possible que ça vous spoile certains points du bouquin si vous ne l'avez pas lu. Mais peut-être pas tant que ça. Enfin, je sais pas, moi. 


Quelque part vers Alpha du Centaure : 

- Consul, vous êtes mon conseiller scientifique. Que devons-nous faire pour affaiblir les Terriens avant la grande invasion qui aura lieu dans quatre siècles, quand notre flotte arrivera enfin sur leur planète ? 

- C'est simple, Chancelier : nous devons empêcher leur développement scientifique. Pour cela, nous disposons d'un puissant avantage. 

- Vous voulez parler de l'organisation secrète qui a décidé de les trahir en notre faveur ? 

- Oui, Chancelier. Nous allons l'utiliser pour diffuser un jeu vidéo.

- Un jeu v... Ah, je vois : un jeu complexe et mystérieux qui exposera les bases de notre propre civilisation afin de gagner un maximum d'humains à notre cause, c'est cela ? 

- Euh... non, en fait, ça s'appelle Mario Kart. 

- Mario Kart ? 

- Oui. C'est un jeu de courses avec des petites voitures dans un univers coloré et fun, avec un plombier italien moustachu et ses amis... et aussi ses ennemis d'ailleurs. Ils font tous du karting au travers du Royaume Champignon. 

- Attendez... Italien ? Moustachu ? Plombier ? Ça veut dire quoi tout ça ? 

- Ce sont des choses qui plaisent aux humains. 

- Bon, ok, je vais vous faire confiance là-dessus, mais pourquoi un jeu de course pourrait-il affaiblir les humains ? 

- L'addiction, Chancelier. Ce jeu est si fun que les gens ne peuvent pas s'empêcher d'y jouer. Même si certains bonus sont si injustes qu'ils peuvent briser les plus solides amitiés. Nous avons dû abattre tous nos bêta-testeurs avant qu'ils ne répandent la passion pour le jeu dans notre population. 

- Et ça va empêcher le développement scientifique ? 

- Les humains n'auront plus le temps de s'en préoccuper. Croyez-moi, Chancelier, ce plan est machiavélique.  


Quatre siècles plus tard :

- Chancelier, ici, le commandant des forces d'invasion. Nous approchons de la Terre. 

- Parfait, Commandant. Ce devrait être une conquête facile. Les humains n'auront aucune force à vous opposer. 

- Chancelier, nos radars indiquent que des vaisseaux humains se déploient devant la planète. 

- Consul ? 

- Ce n'est rien, Chancelier. Ils n'auront pas pu développer des armes efficaces contre nos...

- Chancelier, ils semblent que ce soit des carapaces. 

- Je vous demande pardon, Commandant ? 

- Oui, c'est ça, des carapaces. Des carapaces de tortues, mais géantes. Et elles sont... elles sont bleues. Mais que... Elles nous foncent dessus ! Oh mon dieu, l'une d'entre elles vient d'abattre notre croiseur ! Manoeuvre d'évitement, vite ! Mais virez ! Virez j'ai dit ! Comment ça on ne peut pas lui éch...

- Commandant ! Commandant ! Répondez, Commandant !

- Chancelier, nous venons de recevoir une dernière communication de la part de la Terre. 

- Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que ça dit ? 

- "It's a-me, Mario !". Je ne comprends pas, Chancelier.

jeudi 29 décembre 2022

Une histoire de Joker (5)

 - Alors, Batman, toujours pas décidé à me tuer, hein ? 

- Non, Joker. Ni aujourd'hui, ni jamais. 

- Que vas-tu faire ? M'envoyer à Arkham, encore une fois ? Tu sais très bien que je m'en échapperais et que je recommencerais à tuer. Combien de fois encore, Batman ? 

- Tant qu'il le faudra. 

- Combien de victimes innocentes me laisseras-tu massacrer encore ? Pense-y : toutes ces vies que tu pourrais sauver, Batman ! Juste en me tuant, moi. 

- Tais-toi...

- Je te connais mieux que tout autre, Batsy. Je sais ce que tu veux par dessus tout, ce n'est pas la justice, ce n'est pas d'éliminer la délinquance, ou de sauver Gotham. Non, ce que tu veux, c'est sauver le plus de vie possible. 

- ...

- Alors, tu dois connaître le dilemme du tramway, n'est-ce pas ? Ma vie contre celles de mes innombrables futures victimes... Pourquoi résistes-tu, Batounet ? 

- Joker... Tu sais ce qui se passerait si je te tuais ? 

- Oui, tu sauverais...

- Non. Ce qui se passerait, c'est que deux semaines plus tard, Flash rebooterait l'univers en courant trop vite. Ou alors Ras Al Ghul découvrirait un dernier Puit de Lazare. Ou je me rendrais compte que ta conscience a été téléchargé dans une puce greffée dans le cou du commissaire Gordon. 

- Wow. Tu te sens bien, Batman ? 

- On est dans un comic, Joker ! Tu ne l'as pas encore compris ? Si je te tue, tu finiras toujours par revenir, d'une façon ou d'une autre ! Tu es trop populaire ! 

- Trop... trop populaire ? Comment ça, populaire ? 

- Les gens disent que tu défies l'ordre établi...

- Quoi ? Mais... je... je tue juste des gens au hasard ! 

- Ils disent que tu es un révolutionnaire ou un anarchiste, que tu es un génie avec un plan complexe et politique pendant que je ne fais que réagir aux évènements. Il y en a même qui pensent que tu es un symbole des classes populaires et du prolétariat. 

- Un prolo, moi ? Sérieux ? 

- Tu comprends pourquoi je ne te tue pas, Joker ? Parce que tu n'es pas mon pire ennemi. Ma Némésis, ma vraie Némésis, ce sont les lecteurs !

dimanche 25 décembre 2022

Une histoire de film de Nöel

Quelques jours avant Noël...

  - Police de Chicago, bonjour. 

- Oui, bonjour, je vous appelle de Paris, mon fils est resté seul à la maison, j'ai besoin que quelqu'un aille voir si...

- Un instant, Madame... Madame... ? 

- McAllister. Mon fils s'appelle Kevin et...

- Et il est tout seul chez vous, c'est cela ? Vous avez peur qu'il lui arrive quelque chose ? 

- Euh... c'est-à-dire... pas exactement...

- Pardon ? 

- C'est que... voyez-vous, mon fils... enfin mon mari et moi nous avons participé à ce programme, vous savez, celui des enfants génétiquement modifiés ? 

- Euh...

- Pour créer de grands stratèges capables de vaincre les Doryphores ? 

- Je vois. Celui qui nous a donné Ender Wiggin ?

- Exactement. Du coup, mon fils est un véritable génie militaire. Pour lui, tout peut devenir une arme, un piège. Même un simple fer à repasser ou, je ne sais pas, un pot de peinture. Et en plus, il a un très faible niveau d'empathie. Je crois même qu'on peut dire qu'il tire plaisir du mal qu'il fait aux autres. 

- Oh punaise. 

- Du coup, c'est surtout pour les autres que j'ai peur, vous comprenez, officier ? 


Plus tard...

- Police de Chicago, bonjour. 

- Oui, ici le SHIELD. 

- Le... 

- Le Strategic Homeland Intervention Enforcement Logistics Division. Le SHIELD. Vous avez entendu parler de nous, non ? 

- Ah oui, oui, bien sûr. 

- On voulait vous signaler qu'on a eu deux évasions dans notre programme secret pour produire des super-soldats.

- Votre programme secret... ? 

- Oui, bon, OK, il est pas si secret que ça. Tout le monde sait qu'on essaye de reproduire Captain America. Bref. On a deux de nos cobayes qui se sont échappés dans votre secteur. Donc soyez vigilants.

- Euh... Bien sûr. Ils ont des super-pouvoirs ?

- Oui. Enfin, je vais être franc avec vous, ce sont pas exactement des réussites du programme. Niveau intelligence, ce sont deux vrais boulets. Par contre, ils ont une résistance physique incroyable. On pourrait leur taper sur la tête toute la journée sans parvenir à les blesser. 

- Et ils sont où ? Comment on les retrouve ? 

- Ben, ils n'ont pas d'argent, donc ils vont sans doute essayer de faire quelques cambriolages dans les quartiers chics de la ville. 

- Je sens que ça va mal finir cette histoire.

mardi 20 décembre 2022

Une histoire de commande vocale

Prenez un colis réf. XX-64-XyC.

Un soupir, un coup d’œil circulaire et Kevin se gratta discrètement le crâne, sous le casque de commande, à l’endroit exact où il avait glissé le petit patch autocollant acheté pour l’équivalent de plusieurs mois de salaire dans un magasin du syndicat. Personne dans l’entrepôt ne lui prêtait attention mais…

Prenez un colis réf. XX-64-XyC répéta le casque en faisant maintenant clignoter l’ordre sur la visière devant ses yeux.

…mais ailleurs, très loin de lui, dans un bureau qu’il ne pouvait qu’imaginer, peut-être dans un autre pays ou même sur un autre continent – en attendant de pouvoir conquérir l’espace –, quelqu’un ou quelque chose surveillait son activité cérébrale, ou du moins sa traduction en chiffres et en courbes produite par les senseurs du casque. Le patch brouillait discrètement le signal afin de lui permettre de ressentir toute la lassitude et tout l’ennui qu’il voulait sans cesser d’afficher, officiellement, une bonne humeur neuronale en accord avec les standards de la compagnie.

Prenez un colis réf. XX-64-XyC.

Il s’exécuta et prit, sur l’étagère rouge et bleue devant lui, une petite boîte carré, le genre à contenir un smartphone dernier cri, une pièce d’informatique chirurgicale ou encore un flacon de nanobots – toutes ces choses que des gens, dans les grandes villes, achetaient avec enthousiasme et voulaient voir livrer dans l’heure ou la demi-journée sans quoi ils se répandaient en frustration sur les réseaux et les services clients. Il rangea l’objet dans son sac à dos et réajusta le harnais qui le maintenait à la structure métallique, une dizaine de mètres au-dessus du sol.

Prenez un colis réf. XX-64-XyC dit à nouveau le casque de sa voix impersonnelle.

Sans même avoir à y réfléchir, Kevin prit une deuxième boîte, exactement identique à la première.

Prenez un colis réf. XX-64-XyC.

Une troisième boîte.

Prenez un colis réf. XX-64-XyC.

Une quatrième. Toutes dans le sac à dos.

Prenez un colis réf. XX-64-XyC.

Une cinquième. Une flèche lui ordonna enfin de redescendre.

Quand il avait commencé comme manutentionnaire, il y avait quelques 517 contrats hebdomadaires de cela, les casques de visio-sécurité demandaient des choses comme prenez cinq colis… Maintenant, ils faisaient comme ça, un par un. Personne ne savait exactement pourquoi. Quand ils en parlaient entre collègues, le plus souvent devant un café à attendre de savoir s’ils seraient réembauchés pour une semaine supplémentaire, ils en arrivaient toujours à la conclusion que ça devaient coûter moins cher. Kevin ne comprenait pas comment c’était possible, mais quand quelque chose changeait au travail, c’était généralement pour ça. Il posa le pied sur le sol de métal.

Vérification visuelle.

Les colis commencèrent à tourner dans ses mains avant même qu’il ait conscience d’avoir entamé cette tâche. Les bons jours, il arrivait à se plonger pendant quelques minutes dans cet état second où les hauts murs en tôle grises, les étagères géantes rouges et bleues et même le rugissement permanent des hélices semblaient refluer et où une sorte d’absence cotonneuse faisait venir plus vite la fin du travail. S’il avait pu passer les huit heures de vol ainsi, il l’aurait fait.

« Aucun défaut » dit-il tout haut.

Rendez vous allée 28 place 2 pour expédition.

Se tenant des deux mains aux étagères, il traversa l’entrepôt qui oscillait au gré des turbulences aériennes. Le dirigeable devait arriver à proximité d’un quartier chic et il fallait se dépêcher d’arrimer les colis aux drones qui effectueraient les derniers mètres jusqu’au consommateur final. Ce devait être un spectacle magnifique, presque poétique, cette grosse masse blanche suspendue dans l’azur, lâchant ses dizaines de petits héliporteurs comme autant de papillons au-dessus des faubourgs. Mais tout ce que lui et les quelques autres manutentionnaires en voyaient, c’étaient les couloirs crasseux, la pénombre constante et les boîtes de carton anti-vols impeccables. Enterrés dans le ciel, pensa-t-il : ça ne manquait pas non plus de poésie, bien que d’un genre tout à fait différent.

Comme lui, ses collègues se hâtaient, encombrés par leurs harnais de sécurité, leurs sacs à dos et leurs trop nombreux colis. Ils étaient tous maigres, avec des corps qui semblaient allongés par les contorsions nécessaires pour avancer entre les structures métalliques. Ce n’était pas tant qu’ils manquaient de nourriture que le fait qu’un seul kilo supplémentaire pouvait valoir un non-renouvellement de contrat. Être plus léger que les machines étaient leur principale qualité, du moins c’est ce que répétait leur superviseur à chaque pesée.

La sensation réconfortante du patch lui donna suffisamment de confiance pour ne pas se forcer à sourire tout le long du trajet. Si ça n’affectait pas les relevés neuronaux, même les visuels des caméras de surveillance ne pourraient pas être retenus contre lui. Il garda quand même les yeux braqués devant lui, évitant soigneusement le regard de ses collègues.

Vous approchez de l’allée 28.

Il ralentit.

Vous êtes arrivé. Éditez les étiquettes et expédiez.

Les boîtes de cartons rentrèrent avec difficultés dans les attaches en caoutchouc des drones, mais il arriva quand même à un résultat satisfaisant. Être capable de se débrouiller avec des colis aux tailles toujours différentes sans nécessiter des réglages coûteux, c’était leur deuxième qualité, leur deuxième avantage sur les machines.

Fin de tâche. Chargement de la tâche suivante.

Une seconde passa, puis une autre, puis encore une autre. C’était inhabituel, mais Kevin en profita pour soupirer encore une fois. Vider l’air de ses poumons dans un geste d’exaspération suffisait à lui faire du bien.

Veuillez vous rendre à l’allée 1.

En se tournant, il eut une impression de vide, comme si tout l’aéronef avait traversé un minuscule mais profond trou d’air. S’aidant des bras pour rester stable, il commença à remonter les étagères.

Il ne se souvenait pas s’être déjà rendu à l’allée 1. Et de fait, il n’y trouva aucune étagère, mais simplement une petite porte ronde sur le sol, munie d’une grosse manivelle couverte de plastique noir.

Entrez.

Par un étroite échelle, il arriva dans une petite pièce circulaire où des strapontins de mousse synthétique avaient été accrochés aux parois. Les moteurs grondaient derrière la paroi de plastique.

Asseyez-vous.

Comme toujours, le froid régnait dans l’entrepôt volant, le chauffage constituant une charge dont l’entreprise pouvait facilement se passer. Pourtant, Kevin sentit de la sueur perler sur son front alors qu’il bouclait une mince ceinture de sécurité autour de sa taille. Ce bureau, ce devait être celui où les managers patientaient lorsqu’ils se sentaient obligés d’effectuer un vol pour justifier leur salaire. Mais il n’avait aucune raison de se sentir nerveux ou mal à l’aise. C’était le casque qui lui avait demandé d’être là. On ne pouvait pas le blâmer pour avoir suivi les ordres.

Veuillez confirmer votre position.

« Allé 1, confirmé » dit-il en s’efforçant de couvrir le vacarme ambiant.

Veuillez lire et valider le texte suivant.

Sur le mur, un écran noir commença à dérouler de longues lignes de lettres blanches. Kevin se détendit. Ils voulaient juste lui faire lire de nouvelles consignes de sécurité ou quelque chose d’approchant. D’habitude, on lui demandait de le faire chez lui, hors du temps de travail, entre deux contrats ou parfois plusieurs fois dans la même semaine. Il y avait toujours une légère modification dans les procédures dont ni lui ni personne à son niveau ne comprenait jamais les tenants et aboutissants – sans doute un autre bureau lointain y trouvait-il sa raison d’être en faisant gagner quelques centimes lors des interminables procédures judiciaires que la firme menaient en permanence. Pendant que son esprit dérivait, ses yeux suivaient les paragraphes sans les lire – pourquoi se serait-il imposé cet effort ? Ce n’est pas comme s’il était en position de refuser quoi que ce soit.

Validez s’il vous plaît.

Il effleura du doigt la case « j’ai lu et j’accepte les conditions ci-dessus » sur l’écran mural.

Changement de sac à dos. Le nouveau se trouve sur votre siège.

Ah, voilà. C’était sans doute pour cela les nouvelles consignes : un nouveau sac, sans doute encore plus optimisé de l’ancien, avec une nouvelle structure plus légère, un tissu encore plus garni de capteurs ou n’importe quelle autre légère amélioration qu’on voulait lui faire tester. Étrange de faire le changement en plein milieu d’une mission, mais on ne le payait pas pour avoir un avis sur la question.

Le nouveau modèle s’avéra beaucoup plus lourd que l’ancien. Le sol tremblait sous ses pieds, en contact direct avec le vide extérieur.

Remise de votre carte d’identification.

Un petit encart s’ouvrit dans la paroi. Sans y penser, il déposa le document. On allait sans doute l’affecter à une nouvelle zone et donc lui en remettre une nouvelle. Ça expliquait tout : il devait y avoir besoin de renforts dans une autre partie du dirigeable et c’était lui qui allait s’en charger.

Nous avons été heureux de travailler avec vous.

Sa respiration se coupa. La phrase resta suspendu en l’air, juste devant ses yeux.

« Quoi ? » finit-il par dire.

Commande non valide afficha son casque, avant de lui envoyer devant les yeux la liste des cinquante mots qu’il pouvait utiliser pour la machine.

« Répète » dit-il. C’était le seul qui semblait pouvoir servir à quelque chose.

Nous avons été heureux de travailler avec vous.

« Merde ! Appel ! »

Commande non disponible.

Il essaya d’ouvrir la ceinture mais c’était impossible, elle était soudée magnétiquement.

« Putain, putain, putain », répéta-t-il en repassant la liste des commandes. Il essaya autre chose : « Mission ? Dernière ? »

Votre dernière mission était : validation de votre fin de contrat.

Ses membres se figèrent. Il lui semblait que le bruit du vent sur les parois extérieures de l’appareil était de plus en plus fort.

Souhaitez-vous connaître les modalité de recours ? demanda la voix dans ses oreilles.

« Oui ! » cria-t-il. Le syndicat… Le syndicat lui avait promis que…

Nos données indiquent que vous avez été satisfait de chacune des étapes de la procédure : aucun recours possible.

« Quoi ? Quelles données ? Données ! Données ! »

Données d’activité neuronales : degré d’acceptation enregistré supérieur au niveau minimum requis.

« Mais... »

Le patch. Le putain de patch. Il essaya de glisser un doigt sous le casque, de défaire les lanières qui lui serraient de plus en plus la gorge...

Rappel : retirer votre casque en cours de vol est passible de licenciement.

« Bordel ! »

Dans l’intérêt de la sécurité du vol, nous allons procéder à une séparation immédiate.

« Non ! Putain, non ! Vous parlez… Non ! Non ! »

Procédure de séparation entamée.

Un raclement désagréable lui fit baisser les yeux. L’air s’engouffrait en hurlant dans la cabine au fur et à mesure que le sol s’ouvrait laissant voir, loin en bas, les toits des maisons.

Le parachute est automatique. Veuillez le rapporter ainsi que le casque de sécurité au lieu habituel sous peine de poursuites.

La ceinture de sécurité s’ouvrit, le strapontin s’affaissa. Dans un cri, il vit le plafond s’éloigner. Quelque part, très loin, peut-être dans un autre pays, un écran enregistrait une activité neuronale constante, un niveau de satisfaction dans les normes admises par la compagnie.

mardi 6 décembre 2022

Une histoire de prise d'otages

 - Alors, commissaire, quelles sont ses revendications ? 

- Il exige 10 millions d'euros, chef, et un hélicoptère. 

- Bordel de merde. Combien d'otages il a déjà ? 

- Euh... aucun, chef. 

- Aucun ? Comment ça, aucun ? 

- Bah, aucun comme zéro, chef. 

- Il les a relâché ? 

- Non, il en a pas pris en fait. 

- ...Mais pourquoi vous donnez pas l'assaut alors ? 

- Je pense qu'il faudrait que vous lui parliez, chef. 

- Oh putain. Allez, donnez-moi ce mégaphone commissaire. Oh ! Oh, vous là-dedans ! Dans la banque ! Vous m'entendez ? 

- Je vous entends très bien, monsieur le préfet ! 

- La fête est finie, mon gars ! Sortez d'ici sinon ça finira mal pour vous ! 

- Je vous déconseille de faire cela. Ce serait très mal avisé. 

- Vous n'avez aucun moyen de négocier ! Vous n'avez aucun otage ! 

- Si j'en avais, vous me donneriez ce que je demande, monsieur le préfet ?

- ...euh... Non, bien sûr que non ! 

- Ah ! 

- Mais... enfin... je...

- Si vous cédez à un preneur d'otage, vous renforcez un comportement négatif, monsieur le préfet ! Vous dites à tous les preneurs d'otages potentiels "vous voyez, ça peut marcher !". 

- ...ok...

- Tandis que si vous me cédez à moi qui n'ait pris aucun otage, qui n'ait encore commis aucun acte illégal, vous renforcez un comportement positif ! Tout le monde saura que ne pas prendre d'otages est le bon comportement à avoir ! 

- ... 

- C'est de la théorie des jeux, monsieur le préfet ! Avec jeux répétés ! 

- Bordel de merde. 

- Alors on fait quoi, monsieur le préfet ? 

- Trouvez-moi le meilleur économiste du pays ! Il faut qu'on établisse une stratégie optimale !